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Arrestation de Gaspard Glanz : pourquoi les journalistes indépendants sont-ils plus vulnérables ?

Son arrestation rappelle les menaces à la liberté d’informer qui pèsent sur ceux qui ne disposent pas de carte de presse. 

 « Une atteinte à la liberté de la presse et à la liberté d’informer », c’est ainsi que Me Raphaël Kempf a dénoncé la garde à vue de son client Gaspard Glanz, fondateur du site Taranis News. Ce journaliste indépendant, spécialisé dans la couverture des mouvements sociaux, a été interpellé samedi 20 avril lors de l’acte XXIII des « gilets jaunes », gardé à vue pendant quarante-huit heures et renvoyé devant le tribunal pour « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ».

La justice lui reproche d’avoir adressé un doigt d’honneur à un policier qui l’avait bousculé place de la République, à Paris. Son contrôle judiciaire lui interdit de paraître dans la capitale tous les samedis jusqu’à son procès, le 18 octobre, ainsi que pour le 1er-Mai, et donc de couvrir ces manifestations pendant les six prochains mois.

« Mon statut de journaliste n’est pas reconnu », a déploré, à la sortie de sa garde à vue, Gaspard Glanz, qui n’est rattaché à aucun média ayant le statut d’entreprise de presse, et fait l’objet depuis plusieurs années d’une surveillance accrue des forces de l’ordre. Comme le précise Le Point, le photoreporter est « fiché S », car les services de renseignement le soupçonnent d’être « membre de la mouvance anarcho-autonome et susceptible d’action violente » et d’atteintes à la sûreté de l’Etat.

Son cas a relancé le débat autour du statut de journaliste indépendant, et des menaces à la liberté d’informer qui pèsent sur ceux qui, comme M. Glanz, ne disposent pas de carte de presse. Selon les termes d’une pétition de soutien lancée dimanche, le reporter vidéaste ferait l’objet d’un « harcèlement de la part des pouvoirs publics », qui chercheraient à empêcher « la presse libre et indépendante » de travailler.

Qu’est-ce qu’un journaliste indépendant ?

On fait traditionnellement le distingo entre deux catégories de journalistes, qui peuvent tous deux prétendre à la carte de presse :

·         Les journalistes en rédaction : ils travaillent pour un seul média, avec lequel ils sont généralement liés par un contrat de travail plus ou moins pérenne (« piges » régulières, CDD, CDDU ou CDI). Le plus souvent, ils sont soumis à l’autorité hiérarchique d’une rédaction en chef.

·         Les journalistes indépendants, ou freelance : ils n’ont pas d’employeur fixe. Ils en existent deux catégories : ceux qui vendent au cas par cas leur travail à des médias traditionnels (c’est ce qu’on appelle une pige) ; et ceux qui, travaillant en autonomie, publient leur production par leurs propres moyens (sur leur propre média indépendant, sur les réseaux sociaux).

Au cours de sa carrière, Gaspard Glanz a pratiqué deux types de journalisme indépendant : il a collaboré en tant que pigiste – journaliste rémunéré pour une tâche –  avec plusieurs médias « traditionnels » (Reporterre, Rue89, etc.), et diffuse également une partie de sa production sur le site Taranis News, qu’il a fondé en 2011, et pour lequel travaillent d’autres journalistes.

Taranis est l’un des exemples de ce que les défenseurs de M. Glanz appellent la « presse libre », par opposition à la plupart des grands médias, qu’ils accusent de ne pas être libres car détenus par des actionnaires privés ou par l’Etat.

Faut-il avoir sa carte de presse pour être journaliste ?

Avoir une carte de presse n’est pas une obligation : quelque 35 000 journalistes détiennent une carte de presse, mais de nombreux journalistes en sont dépourvus (plusieurs dizaines de milliers, selon les estimations du sociologue Jean-Marie Charon).

Cette carte, délivrée par la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), est réservéeaux seules personnes qui tirent la majorité de leurs revenus d’un média ayant le statut d’entreprise de presse. Ce qui exclut de fait de nombreux professionnels :

·         Les journalistes travaillant pour des médias modestes, ou jeunes, peuvent ne pas bénéficier de la carte, car leur employeur ne dispose pas toujours du statut d’entreprise de presse, délivré par la Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP), composée de représentants de l’Etat et de la presse. C’est le cas de Gaspard Glanz, qui revendique d’être journaliste depuis dix ans, même s’il n’est pas détenteur de la carte professionnelle.

·         Certains journalistes « stars », comme Jean-Marc Morandini, Pierre Ménès, Yann Barthèsou Christophe Hondelatte, sont également dépourvus de carte de presse, parce que la majorité de leurs revenus sont issus d’une autre activité (production, communication, etc.). Des journalistes ne parvenant pas à vivre de leur métier et contraints d’avoir une autre activité plus rémunératrice se verront également refuser la carte de presse. D’autres, enfin, disposent d’un statut différent (comme les journalistes audiovisuels qui sont intermittents du spectacle) ou n’en font tout simplement pas la demande.

La carte de presse constitue un avantage certain pour les professionnels de l’information : outre quelques privilèges (musées, coupe-file), elle permet surtout de s’accréditer pour accéder à certains événements (conférences de presse, réunion d’information à la presse) et lieux (ministères, Parlement, terrains de guerre, zones bouclées par les forces de l’ordre – l’accès à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes [Loire-Atlantique] a pu être filtré à certains moments par la police, qui refusait les journalistes non encartés).

Pourtant, la carte n’est pas une condition sine qua non pour être considéré comme un journaliste. En 2016, la Cour de cassation a reconnu comme journaliste professionnel un individu sans carte de presse. L’avantage fiscal octroyé aux journalistes n’est pas non plus conditionné à la détention de ce « sésame ».

Le statut de journaliste est donc bien plus une zone mouvante, qui dépend avant tout de la reconnaissance des pairs et du public.

Les journalistes indépendants ont-ils plus de mal à couvrir les manifestations ?

L’arrestation, le 20 avril, de Gaspard Glanz et d’Alexis Kraland, un autre journaliste indépendant, est un événement pour le moins inhabituel en France. Fin 2018, le vidéaste indépendant Stéphane Trouille a bien été condamné à dix-huit mois de prison après une interpellation lors d’une manifestation des « gilets jaunes ». Mais ce journaliste militant a reconnu avoir porté des coups à des personnes qui se sont révélées être des policiers en civil. En 2016, le photographe indépendant NnoMan s’était également vu interdire de couvrir une manifestation parisienne contre la loi travail.

Dans un contexte différent, trois journalistes sarthois ont récemment été convoqués à la gendarmerie après avoir couvert le « décrochage »d’un portrait d’Emmanuel Macron dans une mairie par des militants écologistes. D’abord soupçonnés de complicité, ils ont ensuite été requalifiés en tant que témoins.

Sans pour autant faire l’objet d’une arrestation, un nombre bien plus grand de journalistes, qu’ils soient ou non indépendants, a fait récemment les frais de leur couverture des « gilets jaunes » sur le terrain. Le Syndicat national des journalistes rappelle ainsi qu’il est actuellement « aux côtés de dizaines de confrères qui ont porté plainte pour violences de la police. Un journaliste a eu la rotule cassée récemment, une autre sa carte de presse subtilisée… » Parmi eux, des représentants du Parisien, du JDD, d’Expliciteou de l’AFP.

La carte de presse protège-t-elle les journalistes ?

Sans être absolue, la carte de presse offre aux journalistes une certaine protection. Tout d’abord, elle permet de réclamer à la commission de la carte des casques et des brassards siglés « presse » pour être identifiés comme tels sur les terrains difficiles (ce qui n’a pas empêché de nombreux reporters de terrain d’être victimes de violences de la part des manifestants et des forces de l’ordre lors des récentes manifestations des « gilets jaunes »).

Dans les faits, la carte de presse peut servir à résoudre des « problèmes que l’on peut rencontrer dans l’exercice de son métier, [comme] une arrestation », rappelle la commission de la carte. Mais elle n’offre pas de protection juridique spécifique contre les poursuites pénales. Un journaliste ne peut être attaqué dans l’exercice de son métier, mais il est un justiciable comme un autre s’il est accusé d’avoir commis par la même occasion des délits, comme des vols, des violences, ou encore des « outrages », comme dans le cas de Gaspard Glanz.

Le cas du fondateur de Taranis News est à cet égard révélateur du flou qui caractérise le statut de journaliste. Sans l’appui d’un grand média et d’une carte de presse, un journaliste indépendant est souvent plus fragile face aux forces de l’ordre et aux institutions judiciaires, qui peuvent plus facilement le considérer comme un militant que comme un journaliste, c’est-à-dire comme un acteur plutôt qu’un observateur. « A leurs yeux, je ne suis pas journaliste, (…) et je sais très bien qu’avec cette carte, tout cela n’aurait pas eu lieu », a d’ailleurs estimé le journaliste à la sortie de sa garde à vue.

Reste à savoir si l’interdiction qui lui a été signifiée de couvrir les prochains samedis de manifestation des « gilets jaunes » est compatible avec la protection de la liberté de la presse. Une question qui pourrait devoir être tranchée rapidement, à en croire les déclarations de l’intéressé : « Si je me fais rattraper samedi dans la manif, s’ils veulent me mettre en prison parce que je suis journaliste et que je ne fais que filmer des manifestants, qu’ils le fassent. »

Son avocat a par ailleurs fait savoir lundi qu’il entendait contester cette interdiction « qui porte atteinte à la liberté de la presse et à celle de travailler ». « Cette décision, conforme aux réquisitions du parquet, empêche Gaspard Glanz de faire son travail et de couvrir les mouvements sociaux », a écrit Me Kempf sur Twitter.

Source : Le Monde

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