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RAPPORT 2019 : LA LTDH EPINGLE LE GOUVERNEMENT

                                                                          Me Celestin AGBOGAN, président de LTDH

Dans un rapport rendu public hier, la Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH) , l’une des plus vieilles organisations de défense des droits de l’homme, a fait l’état de la situation des droits de l’homme au Togo sur la période du 31 juillet 2018 au 27 avril 2019.Intitulé « La terreur contre le peuple », ce rapport fait état des multiples violations des droits de l’Homme au Togo ces derniers mois au Togo. Il épingle le gouvernement togolais et les organisations onusiennes en poste au Togo.

Lire l’intégralité du rapport.

AU SECOURS ! ILS FUSILLENT LES ENFANTS !

L’actualité togolaise sur le plan des droits humains sous la dictature héréditaire des Gnassingbé, est une descente aux enfers pour le peuple martyr. D’horreur en horreur, on se dit que le pire est déjà passé. Mais la répression semble engagée dans une concurrence macabre avec elle-même : faire pire que la dernière fois sur le terrain sanglant de la terreur et de l’ignominie.

En matière de terreur, le peuple togolais, épris de liberté et de justice, a vécu les pires atrocités dans sa chair et son esprit, et,  pourtant, il a été littéralement sidéré en constatant que ses bourreaux ont encore franchi un seuil dans la bestialité. Ils ont osé fusiller des enfants ! Oui, fusiller des enfants ! Qui l’eût cru ? Dans quel pays sommes-nous ?

Les journaux, les réseaux sociaux, les organisations des droits de l’Homme dont la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme, les partis politiques ont, en 2018-2019, dénoncé ces crimes lâches et insensés qui interpellent la conscience humaine. Comment peut-on fusiller des enfants innocents et sans défense, sans renoncer à sa part de l’humanité commune ?  C’est terrible !

Les auteurs et commanditaires de ces abominations arrivent-ils à trouver le sommeil, à bercer leurs derniers-nés sur leurs cuisses  et à leur chanter des berceuses, sans penser aux enfants des autres qu’ils ont abattus comme des chiens ?

Au Togo, malheureusement, cela est possible grâce à la culture de l’impunité que se sont offerte des dirigeants illégitimes.  Ce refus obstiné de la reddition de compte est aussi une lâcheté. Quand on dirige, on rend compte à ses mandants. On ne les terrorise pas parce qu’on dispose de la force armée.

Diriger un peuple au 21èmesiècle, c’est se mettre à l’école de la sagesse afin de répondre à ses aspirations légitimes. Quand on est vraiment élu, on prend soin de ses électeurs. La présence des dirigeants à la tête d’un pays ne peut se justifier contre la volonté populaire.

Les Togolais sont fatigués de cheminer sur la route sanglante semée de barbelés d’un régime cruel. Les Togolais veulent que s’ouvre à eux un horizon radieux en lieu et place de l’horizon étriqué et sombre d’une dictature des plus médiocres. C’est pourquoi ils se battent avec courage  et héroïsme, malgré tout l’appareil de terreur mis entre branle, pour changer de chevaux.

Ayayi Togoata APEDO-AMAH

Enseignant chercheur des Universités du Togo,

Membre Fondateur de la LTDH

Remerciements

La LTDH remercie les victimes et leurs familles qui ont bien voulu témoigner et ainsi apporter leur voix au processus de documentation et de monitoring des violations des droits de l’Homme depuis le 19 août 2018 dans le contexte des manifestations politiques. La Ligue Togolaise des Droits de l’Homme témoigne ici sa compassion aux personnes blessées et traumatisées tout en renouvelant ses condoléances aux familles attristées par la perte d’un des leurs.

La LTDH tient tout particulièrement à saisir l’occasion de la publication de ce Rapport, pour remercier très sincèrement tous ceux qui, par leur remarquable dévouement, lui ont permis, souvent, au risque de leur vie, de rassembler les éléments permettant son élaboration.

La LTDH remercie également et surtout le partenaire National Endowment for Democracy  (NED).

Table des matières

INTRODUCTION   

La situation des droits de l’Homme au Togo est un sujet qui suscite beaucoup de polémiques depuis des années.

Alors que les tenants du pouvoir et leurs partisans tentent toujours de réfuter systématiquement les allégations de violations qui leur sont reprochées, force est de constater que le Togo n’est pas un exemple à suivre en matière de respect des droits de l’Homme et d’exercice des libertés fondamentales.

Qu’il s’agisse du domaine civil et politique, ou économique et socioculturel, tout observateur sérieux et honnête relèvera un grave déni des droits du citoyen, lequel est pris en otage par le système politique basé sur l’arbitraire et qui plus est, ne montre aucun signe d’ouverture vers plus d’espaces de libertés.

Le présent  rapport consacré à l’observation et au vécu de la LTDH au cours de l’année 2018 et au début de l’année 2019, analyse l’essentiel des droits humains dans presque tous leurs aspects, avant de tirer les conclusions qui s’imposent à partir des faits, pour déboucher sur  quelques pistes de recherche de solutions concertées et durables.

I-         CONTEXTE GENERAL

Le présent Rapport, élaboré par la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH), a pour objet de présenter les violations des droits de l’Homme commises au Togo.  La période de référence considérée couvre huit mois c’est-à-dire du début août 2018 au 13 avril 2019, période au cours de laquelle les violations des droits de l’Homme ont connu une  recrudescence alarmante.

Les faits collectés par la LTDH et présentés dans le présent rapport couvrent la période qui va  de la répression des manifestations publiques qui se sont inscrites dans la continuité des réclamations relatives au retour à la Constitution de 1992 et aux réformes constitutionnelles et institutionnelles,  jusqu’à la répression de la dernière manifestation publique pacifique organisée par le Parti National Panafricain (PNP), le 13 avril 2019.

Comme cela sera démontré  ci-après, la sauvagerie et la brutalité de cette répression qui se sont traduites par des pertes en vies humaines, des actes cruels, inhumains et dégradants, donnent, rétrospectivement, raison aux dénonciations précédemment faites par la LTDH au travers de son rapport du 30 juillet 2018.

II-     APPROCHE METHODOLOGIQUE

Afin d’atteindre les objectifs de ce projet de documentation et de monitoring, une équipe de collecte des données a été mise sur pied et qui prenant en compte l’aspect genre. Une série de formations de recyclage a été organisée à l’attention des membres de l’équipe de collecte des données avec pour mission de rendre professionnelle la documentation et l’élaboration avec le respect des principes fondamentaux de documentation et d’observation en matière des droits de l’Homme.  Cette phase a permis de procéder à une documentation des violations des droits de l’homme sur la période du 19 août 2017 au 20 juillet 2018. Elle a été sanctionnée par la publication d’un rapport sur la situation des droits de l’homme le 30 juillet 2018.

Nous bouclons ainsi la dernière activité de notre projet. Celle-ci  a consisté à faire un suivi des cas documentés, d’une part, et à poursuivre l’observation des violations dans les localités cible du pays dans son ensemble, d’autre part. Le présent rapport est donc le fruit des interactions de toutes les activités de documentation et d’observation des violations des droits de l’Homme sur la dernière période du projet.

III-      RESULTATS ATTENDUS

Le but principal de cette action vise la documentation du 21 juillet 2018 à fin avril 2019 de manière à disposer d’une base de données de ces violations des droits humains, notamment dans les villes où les manifestations ont constamment eu lieu ou ont été constamment réprimées. Les résultats suivants sont attendus :

v Les preuves de violations des droits humains dans les zones cibles sont enquêtées, documentées et préservées ;

v les autorités nationales sont amenées à mettre en œuvre les mécanismes de la justice et à prendre des décisions coercitives selon les textes et lois en vigueur en vue de mettre les auteurs à la disposition de la loi ;

v les victimes des violations bénéficient des actions de protection, de réparation des violations dont elles ont fait l’objet.

IV-         LIMITES ET CONTRAINTES

1-      Formalités sur le terrain

La LTDH, dans la mise en œuvre de ce projet, a connu certaines difficultés liées à l’insuffisance de moyens matériels et financiers (moyens de déplacement, outils de communication, outils informatiques, etc.), d’une part, et au terrain, d’autre part :

vLe refus de certaines victimes de témoigner par peur de stigmatisation, de représailles et par découragement en raison de la multiplicité des enquêtes sans suite ;

vl’inaccessibilité des enquêteurs à certaines zones  pour des raisons de sécurité, ou des raisons géographiques (longues distances entre les lieux de résidence, et la grande mobilité des victimes) ;

vla réticence des victimes à entamer des poursuites judiciaires.

Cependant, les limites soulignées ci-dessus n’ont nullement entaché la qualité du travail accompli par l’équipe de collecte des données sauf qu’elles ont rallongé le délai de finition de la documentation.

2-      Champs de couverture du rapport

Le présent rapport couvre toutes les violations des droits de l’Homme pendant les manifestions politiques organisées par les partis politiques de l’opposition.

Au plan géographique, il couvre les localités suivantes :

Région
Maritime et Golfe
Plateaux
Centrale
Kara
Savanes
Villes ou localités
Lomé, Agoé,
Aflao Adidogomé,
Bè, Baguida Kpogan, Vogan.
Anié,
Kpalimé,
Atakpamé.
Sokodé,
Kparatao.
Bafilo,
Alédjo Kadara,
Kara.
Mango,
Dapaong.

V-   PRESENTATION ET ANALYSES DES DONNEES

1-  Types de violations

a-  Assassinats et tentatives d’assassinat

Le 08 décembre 2018, lors d’une manifestation projetée par la C14, un adolescent du nom de TCHAKONDO Lawa, alias Gado (apprenti mécanicien) et l’enfant IDRISSOU Moufidou de 12 ans ont été froidement abattus à Togblékopé (face Sanol) par une arme à feu par des éléments des forces armées , le nom d’un officier de haut rang de l’armée Togolaise a été cité par des témoins. Une balle a été tirée dans la tête de l’enfant qui s’est réfugié dans les hautes herbes d’un étang à proximité de l’atelier où il était en apprentissage. Ces deux corps sans vie sont toujours à la morgue de Tsévié à la date de publication de ce rapport. Une autre vidéo[1]montre un membre des forces de sécurité dans une camionnette noire visant un groupe de manifestants avec un fusil à lunette.

Le 12 décembre 2018, à l’intérieur du pays, les populations qui ont voulu aussi manifester, ont été prises pour cibles par les forces de l’ordre et de sécurité qui tiraient sur eux et à bout portant,  des grenades lacrymogènes, et des militaires lourdement armés. Et c’est toujours à Bafilo, Sokodé et Mango, ces villes martyres du régime en place, que les militaires se sont distingués dans la barbarie, bastonnant les gens jusque dans leur maison et occasionnant plusieurs blessés graves.

Entre le 08 et le 18 décembre 2018, on dénombre quatre (4) morts et plusieurs blessés graves ainsi que des personnes arrêtées et déposées dans plusieurs prisons civiles. Il s’agit concernant les morts,  de Idrissou Moufidou,un enfant âgé de 12 ans qui a été tué par balle dans l’œil droit à Togblékopé alors que ce dernier était allé se cacher au bord d’un étang. C’est également le cas de TCHAKONDO Lawa, alias Gado, également tué par balles tirés par des hommes en uniformes.

Le 13 avril 2019, dans le cadre de la manifestation pacifique organisée par le PNP, alors que Monsieur ALI- ZERA Zinedine était sorti pour se rendre à la manifestation à Bafilo, il a été pris à partie par les agents de sécurité et a essuyé des coups violents qui ont entraîné sa mort avant même qu’on ne l’emmène à l’hôpital. Des photos montrant des cicatrices sur son corps, révèlent à suffisance qu’il a été victime d’un traitement cruel et inhumain d’une gravité scandaleuse.

b-     Atteintes à l’intégrité physique

Les manifestants arrêtés sur les lieux de manifestations par les forces de sécurité subissent des sérieuses et graves atteintes à leur intégrité physique. Des coups de matraques, des bastonnades et autres traitements inhumains et cruels, en l’occurrence de coups de pieds, sur des endroits sensibles de leur corps sont monnaie courante. Le calvaire subi par des victimes arrêtées sur le terrain s’est poursuivi dans les unités de police, de gendarmerie et même dans les camps militaires en violation de la loi sur la garde-à-vue. «C’est par des coups de crosse de fusil à la tête et aux reins que les éléments armés m’ont frappé pour me faire tomber et m’arrêter », déclarait une victime.

Les personnes arrêtées durant les manifestations subissent tous ces genres de traitement de la part des agents de sécurité sans que l’on ne distingue s’ils sont coupables ou non. Certaines personnes laissent apparaître les séquelles de ces sévices corporelles.

c-      Maltraitances psychologiques

Les victimes en détention et celles libérées ont relevé un certain nombre de faits, notamment l’absence de visites, des propos menaçants et haineux proférés à leur encontre par les forces de sécurité. On note également ce traitement consistant à garder avec les menottes et pendant des heures, et à jeûn,  les personnes arrêtées.

d-      Destructions, extorsions de biens, pillages et vols

Dans la nuit du jeudi 25 octobre 2018[2]le siège du Parti National Panafricain (PNP) à Sokodé a subi des actes de vandalisme par « des gens mal intentionnés sous contrôle des forces de l’ordre lourdement armées,  qui ont  repeint  le siège du PNP Sokodé en le rendant méconnaissable », nous ont déclaré les témoins.

Le 09 décembre 2018, la maison de la présidente des femmes PNP d’Anié a été vandalisée par des hommes en tenue militaire. Des pagnes et des objets précieux ont été dérobés.

Les militants du PNP-Anié, lors d’une réunion hebdomadaire, le 14 février 2019, ont été tabassés par des hommes en tenue militaire. Des motos et des chaises ont été cassées ainsi que le matériel de sonorisation.  Ils ont tiré des grenades lacrymogènes et ont blessé par balle à la main, un homme d’environ 43 ans.

Les arrestations et confiscations des motos des manifestants sur les lieux des marches * pacifiques sont nombreuses : Le 07 décembre 2018, veille d’une manifestation projetée pour les 08 et 09 décembre 2018, plus de quinze (15) motos des jeunes militants de la C14 ont été emportées du siège du parti politique ADDI aux environs de 18h00.

e-      Disparitions forcées, tentatives d’enlèvement et menaces

La chasse aux militants lancée depuis le 19 août 2017, a contraint les populations à fuir leur domicile habituel. Elle se poursuit jusqu’alors dans le but d’intimider et de dissuader certains militants de jouir de leur liberté d’opinion, d’appartenance à un parti politique ainsi que de la liberté de manifestation. Certaines autorités locales  encouragent ou organisent la  chasse aux sorcières. En effet, certains militants de l’opposition sont fréquemment victimes d’actes de menaces, de tentatives d’enlèvement, le tout savamment orchestré par des individus non identifiés, sans compter les poursuites judiciaires dépourvues de toute base légale.

Ces actes commis à dessein ont poussé certaines personnes à fuir leur localité augmentant à ce jour le nombre de personnes exilées du fait de leurs activités politiques et précisément dans le cadre des manifestations politiques.

Les citoyens qui s’engagent à revenir de leur exil sont contraints à des menaces et intimidations de la part des agents de sécurité en complicité avec des juges. Les sieurs ABOU SAÏBOU et  M’BIBA Taïrou, précédemment refugiés au Ghana, ont été  interpellés et déposés à la prison civile de Mango, le 20 septembre 2018,  au lendemain de leur retour d’exil (à Chripony au Ghana). Ils ne bénéficieront d’une mise en liberté provisoire qu’après plusieurs mois de détention gratuite, c’est-à-dire, sans aucun fondement juridique.

Certains responsables et militants de partis politiques de l’opposition, notamment du PNP,  continuent jusqu’à ce jour de subir de sérieuses menaces et intimidations.

Le sieur Babayi Abdoul Wahid, imam à Bafilo  est recherché depuis la dernière manifestation du 13 avril 2019 par des individus qu’on ne saurait assimiler aux agents des forces de l’ordre. Ils rodent régulièrement autour de sa maison et demandent de ses nouvelles auprès de n’importe qui. Craignant donc pour  sa vie, ce dernier a été obligé de quitter son domicile pour une destination inconnue.

f-       Exactions commises sur les mineurs

Les enfants ont été la cible des agents de sécurité dans la répression des manifestations depuis le 31 juillet 2018. Le 08 décembre 2018, au moment où les forces de l’ordre dispersaient les manifestants à Togblékopé, l’enfant IDRISSOU Moufidou, âgé de 12 ans, a été fauché par une balle à bout portant dans la tête alors qu’il se refugiait au bord d’un étang dans le but de s’échapper aux jets des gaz lacrymogènes lancés un peu partout. Selon les témoignages recueillis sur les lieux, le tireur était identifié à bord d’un véhicule 4×4 immatriculé TG 0879 AY.

Le 11 décembre 2018, un autre enfant âgé de 13 ans du nom de SOWOU Georges, orphelin de père, a reçu une balle réelle à l’abdomen et a été sauvé grâce à la vigilance des organisations de droits de l’Homme qui ont apporté leur soutien en le transportant au CHU SO pour une opération chirurgicale.


g-       Entraves aux libertés publiques au Togo
Les libertés de réunion et de manifestation publiques constituent des droits fondamentaux protégés par la Constitution togolaise et les  instruments internationaux de protection des Droits de l’Homme. Si en la matière, le principe, c’est la liberté de manifestation et l’exception, la restriction ; l’interdiction systématique de certaines manifestations publiques en 2018 et 2019 dans notre pays, est très préoccupante.
Depuis le 19 août 2017, il est vrai, le Togo a connu une série de manifestations de grande ampleur qui ont impacté le climat sociopolitique et même économique. Ces manifestations, en effet, sont parfois émaillées de violences entraînant des dégâts matériels et pires des pertes en vies humaines. Cette série de manifestations publiques ont conduit à l’amorce d’une certaine forme de dialogue conduite avec la médiation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce qui a abouti à l’organisation controversée des élections législatives sans la participation de la Coalition des 14 partis de l’opposition (C14), le 20 décembre 2018. Depuis lors, on note une accalmie apparente dans le pays. Mais ces élections, loin d’apaiser la situation de crise politique que traverse le pays, ont, au contraire, de par leur caractère non  inclusif, causé des frustrations au sein des populations avides de changement et particulièrement dans les partis politiques de l’opposition.
Dans ce contexte d’accalmie apparente, où les débats tournent pratiquement autour des élections locales, du Plan National de Développement élaboré par le gouvernement et, surtout, de la vie chère aggravée ces derniers temps par des mesures gouvernementales d’augmentation des prix des produits de première nécessité, notamment les prix des produits pétroliers et les frais d’éclairage public, sans oublier des mesures fiscales, on observe de manière regrettable que les libertés publiques sont de plus en plus restreintes dans le pays.
En effet, suite à l’augmentation des prix des produits pétroliers, le 19 mars 2019, la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT) a, en vain, tenté à deux reprises, d’organiser un sit-in pacifique devant le Ministère du Commerce, ceci du fait des décisions d’interdiction prises par la Délégation Spéciale de la Commune de Lomé en flagrante violation des dispositions légales régissant la matière. De même, la manifestation du Mouvement Martin Luther King (MMLK)- La Voix des Sans Voix, prévue pour le 06 avril 2019 afin de réclamer la démission de l’entraîneur français au poste de sélectionneur de l’équipe nationale de football, les Éperviers du Togo, a été interdite par le Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales. Cette manifestation, bien qu’elle ait été transformée en sit-in pacifique, des grenades lacrymogènes ont été lancées sur ceux qui ont répondu à l’appel du Mouvement.
Il faut remarquer que l’interdiction des manifestations publiques ces derniers temps ne concerne pas que les associations de la société civile. Les partis politiques n’en sont pas non plus épargnés. En effet, les manifestations publiques du Parti National Panafricain (PNP) prévues pour le 13 avril 2019 à travers tout le pays, ont été interdites, pour la plupart, par le Gouvernement. 
Il est donc légitime de s’interroger sur les finalités ou les raisons qui sous-tendent cette restriction systématique des libertés publiques par le gouvernement au cours de cette période. Y a-t-il une volonté manifeste des autorités publiques d’en finir avec les manifestations publiques dans notre pays, compte tenu du désaveu populaire qu’elles ont eues à vivre depuis le 19 août 2017 ? Autrement dit, ont-elles finalement une phobie des manifestations publiques ? La réussite du Plan National de Développement (puisqu’il fait l’actualité) doit-elle passer par l’étouffement des libertés publiques ?
Tout porte à croire que nos autorités ne veulent plus revivre les expériences qui ont prévalu du 19 août 2017 jusqu’au 20 décembre 2018, date des élections législatives. La preuve, certaines personnalités du pouvoir affirment sans ambages que « il n’y aura plus de 19 août au Togo ». La restriction des libertés publiques serait-elle finalement la meilleure réponse à  la crise sociopolitique que traverse notre pays ? Pour la LTDH, la meilleure solution à la crise sociopolitique est la satisfaction des revendications ayant trait aux réformes telles que voulues par le peuple.
En définitive, il est temps que nos autorités changent de méthodes dans la recherche des solutions aux problèmes sociaux, économiques et politiques. L’approche violente, ne marche plus ou n’a jamais marché. Si c’était le cas, le pays ne serait plus en crise. L’actualité à travers le monde, et l’Afrique en particulier, montre que des dirigeants, aussi puissants soient-ils, ne sont pas au-dessus de leurs peuples et qu’ils ont le devoir de les écouter dans leurs aspirations profondes. La voie par excellence dont disposent la population pour exprimer ses préoccupations, c’est celle que lui offre la Constitution, à savoir les manifestations publiques pacifiques. Lui interdire cela, c’est la punir doublement.
h-       Situation des détenus libérés et placés sous contrôle judiciaire
Le contrôle judiciaire est  une mesure d’exception destinée principalement aux personnes mises en examen[3]. Le contrôle judiciaire constitue une alternative à la détention préventive.
La mesure de contrôle judiciaire concerne surtout les personnes mises en examen. En principe, une personne mise en examen reste libre. Toutefois, le juge d’instruction peut décider un placement sous contrôle judiciaire s’il l’estime nécessaire pour l’instruction ou à titre de mesure de sûreté. Le contrôle judiciaire peut également concerner une personne en attente de son procès, sans que cette personne soit mise en examen.
Le contrôle judiciaire est une mesure de restriction des libertés, notamment de la liberté de déplacement, mais pas uniquement. Le contrôle judiciaire soumet la personne mise en liberté à une série d’interdictions et d’obligations.
Au Togo, le contrôle judiciaire est défini à l’article 119 du code de procédure pénale qui dispose in fine que la mise en liberté peut être subordonnée à des obligations particulières fixées par le juge. Cet article énumère un certain nombre de mesures auxquelles l’inculpé qui n’est pas ou qui n’est plus gardé en détention préventive, est astreint.
Des personnes arrêtées à différentes dates depuis les manifestations du Parti National Panafricain et de la C14[4]ont été libérées le 31 janvier 2019 et placées sous contrôle judiciaire avec obligation de déférer aux mesures imposées par le contrôle judiciaire. Au rang de ces mesures figurent essentiellement l’interdiction de sortir du territoire togolais et la comparution personnelle chaque premier mercredi du mois. Ces personnes libérées sont au nombre total de vingt-deux (22) à faire l’objet de cette mesure parmi lesquelles figurent quatorze (14) personnes qui été gardées à la prison civile de Sokodé, cinq (05) à la prison civile de Kara, et trois (03) à la prison civile de Mango.
Nonobstant le fait qu’elles ne résident pas à Kara, elles doivent se présenter chaque premier mercredi du mois devant le juge au Tribunal de Kara. Ainsi dix-neuf (19) personnes domiciliées à Sokodé et trois (03) à Mango doivent engager des frais pour faire le déplacement depuis leurs localités jusqu’à Kara.
Malgré leurs conditions de vie précaires après leur libération, ces personnes sont obligées de dépenser en aller-retour trois mille (3000) francs CFA pour celles résidant à Sokodé et six mille (6000) francs CFA pour celles résidant à Mango pour répondre à la mesure du contrôle judiciaire. Certaines personnes libérées nous ont déclaré que le juge aurait refusé leur demande de sortie du territoire pour aller exercer leurs activités génératrices de revenus arguant que cette demande est formulée trop tôt. Cette situation a accru le niveau de paupérisation de ce groupe de personnes. Après plus de quinze (15) mois de privation de liberté pour les uns et dix-huit (18) mois pour les autres, le contrôle judiciaire imposé aux personnes libérées vient exacerber leurs conditions de vie déjà difficiles.
L’article 119 du code de procédure pénale togolais énumère un certain nombre de mesures que l’inculpé libéré et placé sous contrôle judiciaire doit respecter. Les mesures relatives à la comparution personnelle des inculpés devant le juge du Tribunal de Kara et à leur interdiction de sortie du territoire ne sont pas expressément prévues par l’article précité. Mais force est de constater que ces deux (02) mesures sont les plus utilisées par les juges dans le cadre de la mise en liberté des personnes arrêtées lors des manifestations politiques, en violation du principe de l’interprétation stricte des dispositions pénales.
Au demeurant, le contrôle judiciaire est utilisé par des juges togolais comme une épée de Damoclès voire une arme de dissuasion destinée à freiner ou à réduire à néant la détermination des personnes libérées à participer aux activités et manifestations politiques. Cette mesure vise en outre à saper le moral de ces personnes. Sinon comment comprendre que pour des inculpés libérés résidant à Sokodé et à Mango, le contrôle judiciaire leur impose de se présenter devant le juge du Tribunal de Kara alors que les tribunaux de Sokodé et Mango sont opérationnels et fonctionnels ! Cette intention dissuasive est manifeste lorsque des détenus libérés déclarent que « le juge nous a dit de remercier le chef de l’Etat car si ce n’est pas à cause de lui, on va vous mater… ». (sic)
i-        Situation actuelle des détenus
Depuis le 19 août 2017, plusieurs personnes ont été arrêtées et détenues dans les prisons civiles du Togo, notamment à Lomé et Vogan.
Dans le rapport rendu public par la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme, le 30 juillet 2018, sous le titre « Togo : La répression et la torture contre le changement démocratique 19 août 2017-20 juillet 2018 », les personnes détenues étaient au nombre de 53 dont trois défenseurs des droits de l’Homme.
En vue de faire le point sur la situation des droits de l’Homme au Togo, neuf (9) mois après la publication de ce premier rapport, l’équipe technique de la LTDH a visité du 19 au 22 mars 2019 certaines localités du pays à savoir Dapaong, Mango, Sokodé, Bafilo, Anié, Atakpamé et Lomé.
Il est à noter que le 08 décembre 2018, lors de la marche organisée par la Coalition des 14 partis politiques de l’opposition pour l’arrêt du processus électoral, plusieurs personnes ont été arrêtées et détenues dans certaines prisons du pays. Nous avons noté la présence de trois (3) dames arrêtées à Bafilo puis détenues à la prison civile de Kara. Toutes ces personnes détenues ont été libérées par grâce présidentielle le 26 février 2019. Mais, il reste à la date d’aujourd’hui, soixante-dix-huit (78) détenus repartis entre la prison civile de Lomé et celle de Vogan.
Précisons aussi que plusieurs parmi les personnes libérées par grâce présidentielle avaient presque purgé leurs peines et devraient recouvrer leur liberté deux mois plus tard.
La justice qui devrait constituer le recours fondamental de sauvegarde des droits et libertés des citoyens, vient, dans le cadre des manifestations, aggraver le sort des citoyens. Entre l’arrestation, la garde à vue, l’inculpation et le jugement des personnes arrêtées avant et après les manifestations, on note une procédure judiciaire entachée d’irrégularités et portant entrave à la liberté des citoyens.
j-    Quand les opérations de maintien d’ordre se transforment en opération de police judiciaire
Les manifestations interdites donnent souvent lieu à des arrestations qui, à y voir de près, génèrent des situations d’injustice du fait de la violation de certaines règles de la procédure judiciaire.
C’est le lieu de préciser, d’entrée de jeu, que les forces de sécurité déployées lors d’une manifestation ont pour seul but d’encadrer les manifestants et, si nécessaire, de disperser ceux-ci afin d’éviter des attroupements qui seraient susceptibles de troubler l’ordre public. Et donc, la force de police est sollicitée dans un cadre de police administrative qui est celui de préserver l’ordre public.
Cependant, malencontreusement, on note dans la pratique que la force de sécurité déployée transforme le mandat de sa mission en s’appropriant la mission de police judiciaire dont elle n’est pas investie. Elle bafoue ce faisant, les fondamentaux des droits humains en procédant à toute sorte d’arrestation des personnes sans pour autant prendre la peine de vérifier si réellement ces personnes arrêtées font ou non, l’objet de soupçons susceptibles de les inculper. C’est ainsi que, dès la base, les arrestations de  nombreuses personnes souffrent de manquements graves aux garanties judiciaires censées protéger ces dernières, car le seul fait de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment, c’est-à-dire un quartier cible de la force de sécurité, signifierait  que tu as participé à une quelconque manifestation et à la destruction d’édifices publics. Cela suffit largement à incriminer et à faire écrouer pour des infractions non commises. Ceci constitue une grave violation qui va de paire avec la procédure de garde- à vue émaillée de torture et de mauvais traitements qui méritent d’être dénoncés.
k-     Garde à vue ou garde pour torturer et maltraiter ?
                                                                                               
Dans le cadre des procédures judiciaires enclenchées contre des personnes arrêtées pendant les manifestations dites interdites, leur garde-à-vue se transforme en des séances de torture. Nombreux sont les cas où une fois arrêtées par la force de sécurité déployée sur les lieux, les personnes sont l’objet de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants.  Les traces de plaies consécutives aux coups de cordelettes, de bâtons ou de matraques sur le corps des personnes qui ont été victimes de tels traitements sont légion et constituent des preuves irréfutables des traitements inhumains et dégradants pour la personne humaine au Togo. Mais les autorités politiques restent muettes et passives par rapport à ces cas. Pire encore, les juges, devant les personnes qui visiblement présentent des lésions, preuve que ces dernières ont été maltraitées, préfèrent garder le silence, sinon libèrent finalement ces dernières pour soulager leur conscience.
En conclusion, de violations en violations, les procédures judiciaires enclenchées contre les personnes arrêtées sont gravement entachées d’irrégularités qui constituent, entre autres, de graves violations des droits humains, à savoir la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants, la violation du droit à la défense etc…
l-       Caractère non fiable des Procès-verbaux d’enquête préliminaire
Les procès-verbaux établis à l’encontre les personnes arrêtées  ne paraissent pas dans la majorité des cas  révéler la réalité des faits ni les charges retenues contre ces dernières. Les interrogatoires qui doivent donner lieu à l’établissement de ces procès-verbaux sont souvent très musclés, réduisant par conséquent les personnes arrêtées au grand silence et à l’acceptation sans broncher de leur sort scellé dans le procès-verbal. Parfois, les personnes arrêtées, après avoir subi des traitements qui bafouent toute leur dignité, ne passent même plus par l’interrogatoire pour être écoutées mais voient justement leur sort scellé dans un procès-verbal qui, au lieu d’être établi à titre de simple renseignement, va au-delà, surtout dans les localités de l’intérieur du pays où le procès –verbal constitue une parole d’évangile, donc digne de foi et insusceptible de contradiction, surtout venant d’une personne arrêtée. En d’autres termes, on a l’impression que les procès-verbaux revêtent à l’encontre des personnes à propos desquelles ils ont établis, de l’autorité de la chose jugée.
m-Partialité  des juges
De l’inculpation au jugement, en passant par des cas de dossiers en instruction où il a été ordonné une mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire, il y a lieu de relever des insuffisances qui ont émaillé le traitement des cas des personnes arrêtées et détenues depuis les manifestations du 19 août 2017.
Les juges n’étant pas présent sur les lieux aux moments des faits, ils ne peuvent que s’appuyer sur les procès-verbaux établis à l’encontre des personnes déférées. La procédure étant viciée par les nombreux manquements à la procédure relevés plus haut, l’office du  juge, dans le cadre des manifestations publiques, est soumis à de rudes épreuves et requiert un traitement au cas par cas si tant est que le juge fait montre d’une impartialité sans équivoque.
 Il convient donc de préciser qu’en la matière, le tableau ne saurait être peint totalement en noir car à chaque vague d’arrestations de manifestants, et selon le juge en charge du dossier,  on assiste à des libérations sur –le-champ quand le juge ne trouve aucun indice de soupçon sur la personne poursuivie.
Cependant, lorsque les considérations politiques se mêlent à la procédure judicaire, celle-ci devient insaisissable et incomprise même pour les acteurs de la justice, en l’occurrence les avocats en charge des dossiers où le juge, hors la présence d’avocats aux côtés des personnes poursuivies,  rend des décisions au mépris du droit à la défense. Ainsi donc, dans la majorité des cas, les prévenus sont jugés sans avocat. Par conséquent, on constate une violation flagrante des fondamentaux des garanties judiciaires reconnues et consacrées à l’endroit de la personne humaine par la Constitution togolaise. En outre, les chefs d’inculpations retenus dans un objectif d’intimidation et de dissuasion s’écartent largement et ouvertement de la réalité qui a donné lieu à l’arrestation des personnes sujettes à détention.  Ainsi, il a été donné de constater que le juge n’a pu boucler les dossiers de certains détenus dont une instruction a été ouverte pendant plus de 15 voire 18 mois pour ensuite aboutir sur une mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire. Il est impossible de savoir si ces détenus étaient coupables ou non, puisque l’affaire a été classée.
C’est donc le lieu de faire observer les circonstances dans lesquelles la justice se met aux ordres du pouvoir politique pour avilir la dignité de la personne humaine, méprisant le rôle fondamental que lui a conféré la Constitution Togolaise à travers les dispositions de l’article 113 alinéa 2 : « le pouvoir judicaire est garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux ».  
n-       Juge unique, juge inique : une pratique en vogue à l’intérieur du pays et qui
     constitue une grave entrave à un procès équitable
Les tribunaux établis dans les différentes villes de l’intérieur du pays souffrent cruellement d’irrégularités fonctionnelles au point où, au lieu d’établir une justice, ils tendent à créer l’injustice.
En effet le droit pénal, dans le but de faire sauvegarder les droits et les libertés des citoyens, a catégorisé les magistrats devant intervenir tout au long de la procédure pénale à trois, à savoir : les juges du parquet, les juges d’instruction et les juges du siège. Les trois demeurent et restent distincts et ont différents rôles qui ne peuvent être cumulés. Si cette catégorisation est respectée à Lomé, la réalité à l’intérieur du pays contraste grandement et ouvertement avec le principe requis pour une bonne administration de la justice. Le bien-fondé de cette catégorisation des juges est d’assurer que le droit du prévenu ne soit pas méconnu ni bafoué. Confier le sort d’une personne soupçonnée à un seul ou à deux (2) juges au lieu de trois (3),  constitue un risque pour la garantie judiciaire de la personne humaine. Le Procureur de la République, qui poursuit une personne, ne peut normalement et légalement instruire ce même dossier en qualité du juge d’instruction car si le Procureur est une partie au procès, le Juge d’instruction  n’en est pas une ; c’est pour cela d’ailleurs que les réquisitions du Procureur ne lient en rien le magistrat instructeur qui peut investiguer et conclure son instruction dans un sens radicalement contraire à celui des réquisitions du parquet, et le Juge de siège pour sa part, doit juger l’affaire en toute impartialité sans être influencé ni par les conclusions du Juge d’Instruction , ni par les réquisitions du Procureur de la République de manière à trancher en toute légalité.
Tel n’est pas toujours le cas à l’intérieur du pays où, dans certains Tribunaux, un seul juge siège en tant que procureur, juge d’instruction et magistrat de siège et dans d’autres c’est deux (2) magistrat dont un (1) fait office de Procureur de la République et du jufe d’instruction.
Au plus clair,  parfois, un seul juge fait tout seul la pluie et le beau temps, ce qui constitue une grave violation des droits de la personne humaine. Car si le juge dans le manteau de procureur inculpe une personne comment pourra-t-il dans une impartialité d’esprit mener des investigations pour confirmer ou infirmer la charge retenue contre cette dernière ? Par ailleurs, dans son manteau de juge de siège comment et en quoi se révélera son impartialité sans laquelle le droit du prévenu ne saurait être garanti ? La réponse est claire : tant que le seul juge portera les trois manteaux, l’iniquité attachée à l’unicité du juge ne saura être démentie. Les cas récents  de A., L.et T. qui ont été sanctionnés par un juge unique à 18 mois de prison ferme et libéré par le juge d’appel, prouve à suffisance que le juge unique peut véritablement s’avérer inique à l’égard des libertés fondamentales.


2-      Auteurs des violations

a-      Agents des unités de police et de gendarmerie des localités

L’article 49 de la Constitution togolaise dispose : « Les forces de sécurité et de police, sous l’autorité du Gouvernement, ont pour mission de protéger le libre exercice des droits et des libertés, et de garantir la sécurité des citoyens et de leurs biens ». De l’analyse des faits et comportements des agents de sécurité sur le terrain, Il ressort clairement  que cette disposition est mal comprise et interprétée par les Forces Armées Togolaises qui obéissent aux ordres, mêmes illégaux, des autorités en méconnaissance ou en flagrante violation des dispositions des alinéas  3, 4 et 5 de l’article 21 de la Constitution qui disposent :

« Nul ne peut se soustraire à la peine encourue du fait de ces violations en invoquant l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique.

Tout individu, tout agent de l’Etat coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi.

Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques».

Ainsi, des agents de sécurité opèrent et continuent d’opérer en violation flagrante des droits et libertés fondamentales des citoyens et par ricochet en violation de la Constitution sans qu’il soit possible d’agir contre elles du fait qu’elles bénéficient de l’aval des autorités gouvernementales et de celui de la justice.

Au regard donc des faits décrits dans ce rapport, il est indéniable que les populations concernées ont été victimes de très graves atteintes de la part de ceux qui ont été investis du pouvoir de les protéger non seulement par rapport à leur propre sûreté et celui de leurs biens mais aussi par rapport à la jouissance de leurs droits et libertés garantis et protégés par la Constitution. En d’autres termes, au lieu de la mission de protection de la sécurité des citoyens et de leurs biens, les forces de sécurité se sont très souvent érigées en de véritables bourreaux contre les citoyens en portant de graves atteintes aux corps et aux biens de ceux-ci. Ainsi, la responsabilité de l’armée doit en toute légalité être engagée pour que dans l’avenir de pareilles atteintes soient évitées.

Aussi, l’assertion tendant à douter du caractère véritablement  républicain de l’armée togolaise est-elle une fois encore confirmée du fait des répressions souvent barbares réservées aux manifestations depuis le 19 août 2017. Les bavures dont les forces armées ont fait preuve sur le terrain à l’égard des populations qu’elles ont la charge de protéger, démontrent de belle manière leur allégeance aveugle et anti républicaine au pouvoir en place.

b-      Préfets

Représentants du pouvoir central auprès des gouvernés, les préfets ont pris une part active dans les violations des droits humains des populations, surtout dans les villes de l’intérieur du pays. Ces violations vont de l’interdiction systématique des manifestations de tout genre à l’arrestation de citoyens sur leur demande. Lors de ces dernières manifestations, les préfets ont outrepassé leur pouvoir en envoyant des forces armées troubler les réunions de certains partis politiques de l’opposition, en l’occurrence le PNP. Certains préfets sont allés jusqu’à proférer des menaces à l’encontre de certains citoyens.

A l’annonce de la manifestation publique du Parti National Panafricain (PNP) projetée pour le samedi 13 avril 2019 dans la ville de Kpalimé, le préfet[5]Assan Kokou Agba de la préfecture de Kloto a soutenu les menaces faites par les chefs traditionnels de la localité de faire sortir les chasseurs traditionnels dénommés « Abrafo[6] » pour s’attaquer aux manifestants. Cette manière de faire s’assimile à l’usage des milices pour faire entorse aux libertés d’opinion et de manifestation pacifique reconnue et protégée par l’article 30 al.1er de la Constitution du 14 octobre 1992 qui dispose que « l’Etat reconnait et garantit dans les conditions fixées par la loi, l’exercice des libertés d’association, de réunion et de manifestation pacifique et sans instruments de violence ». L’exercice de cette liberté de réunion et de manifestation pacifique a été effectivement règlementé par l’Etat togolais à travers la Loi N° 2011-010 du 16 mai 2011 qui en fixe les conditions d’organisation.

3-     Cas de  traitements cruels, inhumains et dégradants

Les traitements cruels, inhumains et dégradants continuent d’être une pratique courante au Togo malgré leur criminalisation par le nouveau code pénal. 95% des  personnes arrêtées au cours des manifestations en tant que manifestants ou non manifestants et celles arrêtées après les manifestations, ont témoigné avoir été victimes de traitements cruels,  inhumains ou dégradants. Outre les personnes qui ont été arrêtées dans les villes comme Sokodé, Bafilo et Mango, les populations ont été victimes dans les rues et dans les maisons de ces traitements inhumains et dégradants au point que certains ont été contraints de fuir leur domicile.

Au premier rang de ces traitements, figure la bastonnade. En effet, de l’observation et des témoignages recueillis sur le terrain, nombreuses sont les personnes qui ont été sauvagement battues au point où certaines d’entre elles étaient tombées évanouies. Des cicatrices des blessures occasionnées par les coups démontrent la gravité des violences infligées. Parfois même, c’est dans des domiciles que les agents de force de sécurité sont allés cueillir arbitrairement certaines personnes. Le domicile pour une raison ou une autre devient une cible pour les militaires et donc devient malheureusement un véritable risque en temps de manifestation. C’est le cas de T., Y.A et de L.B., qui ont été battus chez eux et même après au poste de gendarmerie où ils ont été conduits.

Il faut aussi citer le cas de la victime 1 qui, arrêtée par les militaires à Koumondè et accusée sans preuve d’avoir participé à une manifestation a été battu jusqu’à ce qu’elle ne perde connaissance, alors qu’elle était embarquée dans la voiture des forces de l’ordre. Les cas de toutes les personnes battues, du moins celles que nous avons rencontrées, sont énumérés dans l’annexe.

Même les femmes n’ont pas été épargnées. Le cas de l’étudiante Amoudiatou est une illustration assez édifiante. Alors qu’elle se rendait à une manifestation publique pacifique, elle a été interpellée à Koumondè puis embastillée.

Outre la flagellation barbare dont ont été victimes certaines personnes détenues, on note également  des pratiques de maltraitance de tout genre.

Par ailleurs, nombreux sont les détenus qui affirment avoir été privés de nourriture pendant la durée de leur garde à vue, notamment une journée pour certains et deux pour d’autres. Cette pratique de priver les personnes arrêtées de nourriture pendant la garde à vue, est une forme de traitement inhumain, donc une  violation de leurs droits.

Aussi faut-il relever que pendant la garde à vue, il n’était pas permis aux personnes détenues d’appeler un proche pour l’informer de leur arrestation et du lieu de leur détention. De même, les personnes gardées à vue étaient privées de toute visite de la famille et de leurs proches et dans les rares cas où cela était toléré, c’était accompagné de restrictions fermes et de conditions inadmissibles. Toutes ces pratiques ont pour objectif de mener la vie dure aux personnes dans le but de les torturer psychologiquement.

4-     Situation actuelle des exilés

La situation d’état de siège des villes de l’intérieur telles que Mango, Sokodé et Bafilo, ayant contraint plusieurs concitoyens à quitter le pays dès le début des répressions barbares, perdure. Plusieurs compatriotes se sont réfugiés à Chripony au Ghana où les autorités d’accueil ne leur ont pas reconnu le statut de réfugiés ce qui n’a pas permis une amélioration de leur traitement. Certains d’entre eux ont regagné leur localité toujours avec la peur au ventre, car recevant toujours des menaces de la part des personnes mal intentionnées.

 Voici dans ce tableau la présentation chiffrée des personnes en détention dans les prisons

Tableau 1 : Répartition des détenus (manifestations politiques depuis le 31 juillet 2018)

N
Prisons
Nombre
%
1
Dapaong
0
0%
2
Mango
0
0%
3
Kara
0
0%
4
Sokodé
0
0%
5
Lomé
75
96%
6
Kpalimé
0
0%
7
Vogan
3
4%
TOTAL
78
100%

5-  Traitement des défenseurs des droits de l’Homme et des détenus en prison

a-  Traitement des victimes détenues en prison

Le Togo compte au total 12 prisons avec un effectif dépassant largement la capacité totale d’accueil. Seules les données des prisons de Lomé, Mango, Sokodé, Kpalimé, de Vogan et de Kara ont été actualisées. Les problèmes habituels au sein des prisons togolaises sont toujours d’actualité. Les conditions de vie, de logement avec la surpopulation carcérale, les abus de pouvoir des chefs de cellule ou du major des détenus et la présence des mouchards à la solde du pouvoir qui espionnent les personnes détenues, sont exécrables.

Les conditions sanitaires sont tout autant déplorables. Les prisons togolaises ne sont pas dotées d’infrastructures de santé. Il en est de même pour les centres de santé des villes où se font consulter ou traiter les détenus venant des prisons qui n’ont pas de cabanon. Ce qui complique le travail des surveillants de l’administration pénitentiaire, en témoigne de nombreux cas d’évasion de détenus depuis  les centres de santé.

Tableau 2 :

N
Prison
Capacité d’accueille
Effectif actuel
Hommes
Femmes
Mineur
1
Lomé
666
1887
1797
90
0
2
Mango
286
202
199
3
0
3
Kara
649
417
397
14
6
4
Sokodé[7]
311

b-  Traitement  des défenseurs des droits de l’Homme

Au début des manifestations pacifiques organisées par le regroupement des partis politiques, le régime en place a fait emprisonner quatre défenseurs des droits de l’Homme aux rangs desquels figure deux (2) Responsables du Mouvement NUBUEKE, le Président de REJADD Togo et le Porte-parole du Mouvement en Aucun Cas.

De ces quatre défenseurs des droits de l’Homme, les sieurs Mensenth KOKOROKO et Joseph EZA ont bénéficié d’une liberté provisoire le 31 janvier 2019. Le Président du REJADD, Assiba  Biova Johson a par contre purgé sa peine de 12 mois  dont  6 assortis de sursis, issue de son jugement. Il a recouvré la liberté le 5 avril 2019.

Le camarade Folly Satchivi, président du Mouvement en Aucun Cas demeure en détention à la prison civile de Lomé.

Malgré l’appel à la libération fait par plusieurs organisations des droits de l’homme sur le plan nationale qu’internationale, la justice togolaise est demeurée complice d’une affaire de musèlement délibéré de la liberté de pensée. Cette affaire s’est soldée par la condamnation à 36 mois de prison ferme dont 12 mois de sursis. L’indignation de tous les acteurs politiques et sociaux du pays a été unanime.  Ceci a contraint son collège d’avocats à organiser une conférence de presse le 23 janvier 2019 pour dénoncer l’instrumentalisation de la justice togolaise par le pouvoir public à travers le thème. « La justice pénale togolaise, un frein et un obstacle réel à l’avènement de l’Etat de droit et de la démocratie au Togo ». « Cette conférence de presse a eu pour objectif d’attirer l’attention de l’opinion nationale et internationale sur le phénomène qui se passe dans notre pays et qui consiste à utiliser la justice pour régler des comptes à des personnes que nous pouvons appeler des adversaires politiques ou des leaders d’opinions ». L’on ne saurait plus douter du caractère purement politique de cette affaire qui fait maintenir M. Folly SATCHIVI en prison.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

La documentation et le monitoring des violations des droits humains est une vieille expérience de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme, depuis le 20 juillet 1990, date de sa création. Cette expérience a été enrichissante pour elle dans la mesure où ces rapports ont été, dans tous les cas, conduits avec sérieux et impartialité. Elle a toujours rendu public des rapports à des moments difficiles de notre pays. Les plus récents sont les rapports des violations des droits de l’Homme de 2005, documentés en collaboration avec la FIDH, le rapport thématique de 2011 portant sur les violations des droits de l’Homme dans les manifestations politiques depuis le 19 août 2017.

La présente mission est celle qui complète la première phase de notre projet ayant conduit à l’élaboration et à la publication d’un rapport sur la situation des droits de l’Homme au Togo couvrant la période du 19 aout 2017 au  le 20 juillet 2018. Elle a permis également de rendre complète les bases de données couvrant toute l’étendue du territoire concernant les victimes.

Malheureusement, le nombre de cas enquêtés n’est pas suffisant pour être représentatif de toutes les victimes compte tenu des limites et contraintes soulevées plus haut.

Il est donc nécessaire que nous continuions le travail de documentation et de monitoring des violations des droits humains afin de prendre en compte le plus grand nombre de victimes sur toute l’étendue du territoire national y compris les personnes en refuge hors du pays. Cette activité doit être poursuivie et doit s’inscrire dans le temps eu égard à la situation sociopolitique difficile au Togo.

Il est urgent que les parties prenantes s’impliquent dans ce processus à travers la mise en œuvre des recommandations suivantes.

A-      L’ENDROIT DE L’ETAT TOGOLAIS

L’Etat togolais, de par la constitution du 14 octobre 1992, des instruments internationaux auxquels il est partie, doit garantir les libertés fondamentales et a l’obligation d’assurer la protection et la promotion des droits de tous les citoyens conformément à la Constitution. Il doit de ce fait:

v éviter la fuite en avant dans le cadre de la résolution des crises en adoptant des mesures concrètes et en prenant des dispositions utiles et nécessaire pour la résolution de la crise ;

v protéger les défenseurs des droits de l’Homme et garantir aux associations la liberté d’exercice ;

v procéder à la libération des défenseurs des droits de l’Homme, en l’occurrence le Président du Mouvement en aucun cas, M. Folly Satchivi

o  libérer tous les détenus arrêtés dans le cadre des manifestations ainsi que les leaders du PNP (Ouro-Djikpa Tchatikpi, Sébabé-Guéffé T. Nouridine, Kezire Azizou)

v garantir la liberté de manifestation conformément à la Constitution togolaise et à la loi N° 011 du 11 mai 2011 portant « Liberté de manifestation sur les lieux publics » ;

v mettre aux arrêts les agents des forces de l’ordre et de sécurité ou de forces armées,  auteurs des cas de décès le 08 décembre 2018 à Togblékopé ainsi que dans les autres villes du pays.

B-          A L’ENDROIT DES ORGANISATIONS ONUSIENNES ET A L’ENDROIT DE LA

         COMMUNAUTE INTERNATIONALE.

Au nom de la responsabilité internationale, la communauté internationale a le devoir d’assistance aux populations victimes quelles que soient leur couleur, race, ethnie et religion. Ainsi, doit-elle :

v coordonner les actions et activités des ONG qui conduisent des enquêtes pour éviter la multiplicité et faire en sorte que des actions humanitaires soient ciblées et aussi, prendre en compte les victimes recensées ;

v s’impliquer réellement dans la résolution définitive de la crise togolaise tout en évitant le parti-pris ;

v apporter un appui psychosocial aux victimes ;

v apporter leur soutien au peuple togolais pour la jouissance de la liberté de manifestation garantie par la Constitution togolaise ;

v encourager les autorités gouvernementales à trouver des solutions durables aux problèmes récurrents à l’origine de la crise togolaise ;

v renforcer les capacités d’intervention des décideurs et des acteurs sur les violations des droits humains ;

v allouer des fonds pour mener des enquêtes supplémentaires sur les violations des droits humains, surtout en ce qui concerne des cas de disparitions et de présumées fosses communes ;

v Agir réellement pour la mise en œuvre de la feuille de route de la CEDEAO signée le 31 juillet 2018 et relative à la résolution de la crise sociopolitique togolaise ;

v mettre les victimes au centre de tout le processus de négociations et garantir la non répétition des violations.

C-     A L’ENDROIT DES ORGANISATIONS DE DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME

La lutte contre la violation constante des droits de l’Homme ne peut réussir sans la contribution active de la société civile. A cet effet, elle doit jouer pleinement son rôle, non seulement de principal acteur du développement mais aussi en tant que contre-pouvoir. Ce rôle est reconnu par le gouvernement togolais dans son livre blanc consécutif aux travaux de la Commission Vérité Justice et Réconciliation.

Pour ce qui concerne les organisations de défense des droits de l’Homme, œuvrant sur le plan national comme international, nous rappelons qu’elles s’investissent davantage dans la protection et la promotion des droits humains, tâche qui leur incombent. Par conséquent, nous leur recommandons  d’œuvre en sorte que la mise en œuvre des mécanismes de protection des droits humains passe inéluctablement par leur implication directe et permanente.

ANNEXES

Annexe1 : Listes des décès enregistrés

N
Nom et prénoms
Localité
Age
Contexte
1
Idrissou Moufidou (mineur)/ toujours à la morgue
Lomé
(Togbékopé)
12
tué par balle reçue dans l’oeil droit le 8 décembre 2018
2
TCHAKONDO Lawa, alias Gado (apprenti mécanicien) toujours à la morgue
Lomé  (Togbékopé)
30
Mort par balle le 8 décembre 2018 dans le dos pendant qu’il fuyait les forces de répression.
3
Seidou Salissou
Sokodé
35
Tué à Sokodé, le 10 décembre 2018,  par balle, reçues à la poitrine gauche et à la joue droite
4
Kpelafia Abdou Fataou
Sokodé
36
Tué à Sokodé par bastonnade et brûlé dans un feu le 10 décembre 2018
5
Ali-Zera Zinedine
Bafilo
30
Tué à Bafilo, le 13 avril 2019, par bastonnade



[3]Expression utilisée dans le droit pénal français. Au Togo, le terme consacré est « inculpation » qui est une décision du juge d’instruction par laquelle une personne suspectée est mise en cause au cours de l’instruction d’une affaire pénale.

[4] Coalition regroupant quatorze (14) partis politiques de l’opposition togolaise

[6] Nom en langue Ewé (Sud-ouest du pays) les guerriers traditionnels

[7]Les données n’ont pas pu été actualisées

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